Comment faut-il étudier l’islam
Après près de douze siècles de grandeur, le monde islamique sombre graduellement dans le déclin. Mais sa décadence n’a jamais été aussi palpable dans tous les domaines de la vie politique, économique, sociale ou autre que depuis la chute du Khalifat en 1342/1924. Ainsi de l’éducation, qui connaît une dégénérescence sans précédent. Pour remédier à long terme à cette situation, il paraît urgent de reformer les nouvelles générations en les instruisant autrement. Or seule la méthode islamique d’apprentissage a fait ses preuves. Mais en quoi consiste-elle et comment la mettre en pratique ?
La véritable culture ne consiste pas à emmagasiner des informations ni même à acquérir des connaissances de façon aride, mais à fonder une manière d’être en nourrissant une manière de voir, car le comportement de l’homme est tributaire de sa vision du monde. Or, depuis la mainmise colonialiste sur le monde islamique avec ses corollaires de laïcisation systématique des affaires publiques et privées, culture et éducation sont devenues de plus en plus improductives car fondées sur une base contre nature séparant esprit et matière, religion et vie, pensée et sensibilité ; d’où la nécessité d’appliquer une méthode qui réalise une fusion de la matière et de l’esprit, aboutissant à une unité des idées et des sentiments, une méthode à même de produire une personnalité cohérente dont la mentalité et la psyché se répondent.
Diamétralement opposée aux méthodes académiques occidentales – conventionnelles, spéculatives, et souvent stériles – qui ont envahi le monde islamique (jusqu’au cœur d’universités anciennement réputées comme al-’Azhar, az-Zaytoûnah ou al-Qarawiyyîn), la méthode islamique d’apprentissage est sous-tendues par trois règles d’or propres ou génie islamique : avoir foi en la matière étudiée, apprendre en vue de la mise en pratique et approfondir l’étude tout au long de la vie.
1. Avoir la foi en la matière étudiée
Cette première règle exclut toute forme de recherche académique. L’étude islamique peut porter soit sur le credo ou articles de foi, soit sur la loi. Or l’un et l’autre viennent de Dieu, et sont donc vraies et authentiques. En effet, on parvient à saisir la réalité du credo grâce à la raison, trésor inestimable dont Dieu a privilégié l’être humain pour lui donner les moyens d’accéder à la foi de façon certaine, sans se satisfaire des seules sensations affectives ou intuitives. Grâce à ses facultés rationnelles, l’homme perçoit ainsi l’existence de l’Artisan à travers l’œuvre. De la même manière, il découvre l’authenticité du Message inimitable de la Révélation, qui l’instruit sur les attributs sublimes de Dieu. Or les prescriptions de loi émanent de ce Message ainsi authentifié et prouvé, et l’on s’y soumet alors en toute sérénité. Ainsi, foi et loi doivent être étudiées avec certitude car elles viennent de Dieu.
2. Étudier en vue de la mise en pratique
La deuxième règle exclut le savoir pour le savoir ou l’art pour l’art prôné par les modernistes. En effet, apprendre l’islam consiste à acquérir des connaissances dans un but pratique, non théorique ou hypothétique. Pour ce faire, il s’agit d’être en étroite connexion avec la réalité sensible, c’est-à-dire les choses de la vie réelle, pour pouvoir percevoir et juger les phénomènes avec lucidité. L’étude a pour objectif de définir la position à adopter par rapport aux choses et aux êtres, et le comportement à suivre en matière d’actes. Ainsi par exemple, l’étudiant ne s’interrogera pas sur les modalités de la prière pour un astronaute sur la lune qui ne voit pas le mouvement du soleil, mais apprendra les règles de la prière sur la terre ferme ! La connaissance n’est donc pas un but en soi, mais un moyen permettant de comprendre la réalité des choses et connaître les frontières du permis et de l’interdit. L’efficacité de l’apprentissage réside précisément dans cette perspective pratique.
3. Approfondir l’étude autant que possible
Cette troisième règle exclut toute forme de bachotage. L’approfondissement de la matière étudiée se réalise autant par la quête du savoir que par la pratique, et ce, tout au long de la vie. La quête du savoir bénéfique doit être continuelle. Pour ce faire, on commencera d’abord par apprendre les prescriptions de loi indispensables dans la vie de tous les jours. Ensuite, on prendra soin d’étudier les preuves textuelles dont elles émanent. Enfin, on élargira ses connaissances en matière de foi et de loi en orientant sa pratique par rapport à la preuve la plus solide. Quant à l’application du savoir acquis, elle éclaire et consolide la connaissance, d’autant plus que l’islam est une pratique fondée sur la foi.
A cet égard, il convient de noter l’importance de l’arabe en tant que véhicule de l’islam et langue de la Révélation (Coran et Sounna). Clef de voûte des textes sacrés, la langue arabe est en effet inséparable de l’islam et indispensable pour sa bonne compréhension. Ce statut privilégié lui est conféré par ses capacités exceptionnelles d’émouvoir, s’élargir et se répandre. C’est pourquoi l’apprentissage de l’arabe est un passage obligé pour entreprendre une étude fructueuse de l’islam.
Cette méthode d’apprentissage est celle qui a produit non seulement des personnalités islamiques dignes de ce nom, mais aussi des oulémas, des encyclopédistes, des savants tous azimuts. Elle est donc manifestement la seule efficace. Et pour cause, elle est de même nature que l’idée de base dont elle émane : lâ ‘ilâha illâ l-Lâh Mouhammad rasoûlou l-Lâh. Il est certain que l’abandon d’une telle méthode est une des principales causes de la décadence du monde islamique ; aucune véritable renaissance par les idées ne peut être espérée sans ce retour aux sources méthodologiques. Mais la promotion d’une politique d’instruction de cette envergure requiert un pouvoir politique digne de ce nom, c’est-à-dire à même de faire renaître la ’Oummah de ses cendres. Alors seulement, la civilisation islamique pourra retrouver sa première grandeur.
Sayyed Chinqiti